En redif : La bête à sa mère

La mère du narrateur est atteinte maladie mentale. On ne sait laquelle, puisque les psychiatres changent de diagnostics et donc de traitement, la plongeant de la roue sans fin des dérèglements biochimiques. Alors qu’elle commet sa énième tentative de suicide ratée, dont son fils, qui a maintenant 7 ans, a toujours été témoin, celui-ci sera placé en centre d’accueil. L’identité de son père est inconnue. S’enchaîneront les séjours brefs et souvent violents en famille d’accueil. Il passera son enfance dans la stabilité, dans la ronde de familles d’accueil pas toujours très accueillante, et de l’incessant changement d’intervenants. Cela, ajouté aux sept années avec sa mère (dont il nie qu’elles aient eu un effet négatif sur sa vie) et à son mécanisme de répondre à la violence par la violence en font un indésirable. À 17 ans, on le place en logement supervisé jusqu’à sa majorité. Toute la hargne qu’il a accumulée contre les gens qui l’ont tenu loin de sa mère explose à ce moment.
La psychologie du personnage principal est d’une justesse éclatante, preuve que l’auteur œuvre en travail social. On y retrouve une pléthore de contradictions, typique des personnes blessées qui vivent du déni. En plus, sa rancœur s’actualise dans le plaisir qu’il a à faire du mal, notamment aux animaux, plus spécifiquement les chats qui croisent son chemin. Et il y en aura. À cet effet, le début du roman comporte des scènes très difficiles à lire, mais qui ne sont pas gratuites du tout.
L’enfant brisé qu’il a été et l’adulte qu’il est devenu fabulent et fantasment au sujet de ses retrouvailles avec sa mère, les raisons pour lesquels son père l’a abandonné et la famille qu’ils pourront enfin former. Autre témoignage d’un enfant brisé qu’on n’a jamais cru, il affirme toutes sortes de choses, les supportant par l’expression « c’est documenté », pour leur donner de la valeur. D’ailleurs, il lit tous les livres qui lui tombent sous la main, non seulement pour se distraire, mais pour se cultiver, devenir « intelligent ».
On suit son cheminement jusqu’à un événement fatidique mentionné d’entrée de jeu. On décèle les éléments qui jalonnent souvent le parcours type d’un enfant qui développera un trouble de personnalité asociale, ou de ce qu’on appelait avant un psychopathe.
On l’imagine bien, le narrateur est accro à la pornographie, la masturbation, la drogue, l’alcool, les sensations fortes. C’est un menteur compulsif qui invente les histoires nécessaires pour atteindre ses objectifs.
À travers des propos frappants, d’une écriture caustique ainsi que de l’humour qui va avec, on y lit bien sûr une critique sociale. On vit dans une société malade, chacun cherchant à servir ses propres intérêts. Mais aussi, et pour moi, surtout, une critique du système de protection de la jeunesse.
Un premier roman dérangeant de David Goudreault, gravé à la lame de couteau dans la chair. L’histoire d’une jeunesse imbibée de violence qui engendre la déviance comme moyen de survie. Une lecture qui fait mal, mais qui est nécessaire.